Le prestige d’antan du Cours Belsunce

Quand on évoque le Cours Belsunce aux Marseillais, ils pensent immédiatement à un grand capharnaüm. Même l’arrivée du tramway et la requalification des espaces publics n’y a pour ainsi dire rien fait. Il faut dire que l’architecture des bâtiments qui le bordent est plutôt chaotique. Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là !

Vous êtes à l'angle de la Canebière et du Cours Belsunce ? C'est parfait, c'est ici que vous apprécierez le mieux l'histoire du Cours de Marseille.

Le Cours de Marseille, c’est l’ancien nom de cette promenade qui se déroule perpendiculairement à la Canebière. Au Moyen-âge, à peu près à cet endroit, se dressait la Porte Réale. Il s’agissait d’une porte dans les anciens remparts. Marseille se contraint alors dans une enceinte encerclant 70 ha seulement. À cette époque, le Cours Belsunce n’existe pas : s’étale ici depuis le XIVème siècle un glacis militaire. Il buttait, à l’Ouest, sur l’enceinte de la ville ; du côté des faubourgs s’étaient installées auberges et fontaines.

Quand Louis XIV arrive à Marseille, après avoir maté l’insurrection, il décide d’entreprendre de grands travaux. Il s’agit de la première très grande opération urbaine que subira Marseille, comparable aux percées haussmanniennes qui interviendront deux cent ans plus tard. Les anciens remparts sont abattus, et le Roi ordonne l’urbanisation de la ville vers l’Est et le Sud. L’opération urbaine sera gérée par le bureau d’agrandissement, crée en août 1669.

Le projet urbain est dessiné par les architectes Mathieu Portal et Gaspard Puget, frère de l’architecte Pierre Puget. Ils décident des futurs alignements et proposent de relier les rues de part et d’autre de l’ancienne enceinte démolie.

Le Cours est d’emblée prévu dans le tracé de cette ville nouvelle. Il s’inscrit dans une longue perspective associant la rue d’Aix, au Nord, avec la rue de Rome, au Sud. Cette dernière ne comprend qu’une première partie, d’ici jusqu’à la Porte de Rome, approximativement à l’emplacement de la place de Rome actuelle. Par ses dimensions, 40m de large sur 400m de long, le Cours est un espace sans équivalent. L’objectif est de donner aux Marseillais un espace de prestige où ils pourront se promener et parler affaires. Aussi, l’architecture du Cours reprend les codes de classiques de l’époque. Fontaines et alignements d’arbres marquent la longue perspective.

Il est intéressant de noter que l’axe de développement de Marseille, dès cette époque et jusqu’à un passé récent, était un axe Nord-Sud, comme si la ville tournait le dos à son port. Le port n’est vu que comme un emplacement logistique, avec ses nombreux bateaux qui chargent et déchargent leurs marchandises sur les quais. Ceci restera vrai jusqu’au début du XXème siècle. Aujourd’hui, le projet urbain d’Euroméditerranée a au contraire l’ambition de reconquérir les ports, tant économiquement que spatialement. Progressivement le Cours perdra sa vocation de promenade, au profit de la Canebière et du Vieux-Port, comme en témoignent les travaux de requalification de ces dernières années.

Vue du Cours lors de la Peste de Marseille en 1720
Vue du Cours lors de la Peste de Marseille en 1720

Les travaux du Cours s’étalent essentiellement entre 1670 et 1685. Un modèle-type de maison est établi par le Conseil de la Ville, qui entend par là uniformiser les façades pour créer un fond de scène homogène. Les promeneurs doivent avoir l’illusion d’un très grand palais ordonné, alors qu’il s’agit en réalité de plusieurs maisons autonomes. Un gabarit est donc dressé : les constructions doivent être accolées, deux ou trois fenêtres par étage, et les hauteurs des bâtis doivent être identiques. Les fenêtres sont normées et alignées les unes aux autres. Pour allonger encore la perspective, on établit un modèle de corniches horizontales qui soulignent les rez-de-chaussée et les attiques.

Derrière le Cours, tout le quartier de Belsunce est construit sur un modèle baroque. La bourgeoisie occupe de petits immeubles donnant sur des jardins de cœurs d’îlots, avec souvent de petites maisons de fond de cour, anciennes dépendances destinées aux domestiques, ou à l’entreposage de matériel ou de carriole.

Avancez jusqu'à l'angle du Cours Belsunce et de la rue du Poids de la farine. Vous y verrez un magnifique pilastre à fût cannelé sur un puissant soubassement à bossage : c'est un maigre indice qui rappelle le faste de l'époque où le Cours a été aménagé, sous l'Ancien Régime.
Un immeuble du XVIème siècle sur le Cours Belsunce
Un immeuble du XVIème siècle sur le Cours Belsunce
Photo : Jonathan Tourtois

Il est très difficile d’imaginer aujourd’hui la grande qualité de l’ordonnancement général. Malheureusement, il ne reste que quelques bâtiments de cette époque. L’immeuble qui fait l’angle Sud entre le Cours et la rue du Poids de la farine est d’origine. Sa récente restauration a permis d’en retrouver l’architecture originelle. Remarquez comme l’immeuble voisin lui ressemble étrangement : voilà un exemple de maisons identiques offrant une façade uniforme. Malheureusement aujourd’hui les corniches ne sont plus continues et les teintes des façades sont différentes.

On retrouve le même phénomène sur la façade suivante, de l’autre côté de la ruelle. La boutique qui fait l’angle présente deux arches en anse de panier et une entrée d’immeuble rectiligne. C’est typiquement cette écriture qu’avaient imaginé les architectes pour la composition du Cours. Malheureusement cette écriture n’a pas su subsister jusqu’à nos jours.

Ce pilastre, aujourd’hui un peu seul, s’inscrivait dans un ensemble de décors typiques du style classique. Généralement, le rez-de-chaussée et l’entresol offraient des façades à bossage. Au-dessus de la corniche horizontale, de puissants pilastres s’élancent vers les débords de toiture. Les façades sont sculptées, et certaines offraient même des balcons : ils étaient supportés par de petits atlantes figurés sur les consoles. On observe encore par endroit certains médaillons ou des gargouilles prenant la forme de lions.

Continuez jusqu'à l'angle de la rue Tapis Vert.

L’immeuble qui borde l’angle Sud a beaucoup été altéré avec le temps, mais il présente encore sur sa façade des médaillons sculptés et un arc en plein cintre. On devine ces éléments sur d’autres immeubles du Cours mais c’est ici qu’ils sont les mieux conservés. Malheureusement, cet immeuble n’a pas conservé les probables décorations qui ornaient les pilastres, à peine visibles aujourd’hui.

Pour mieux imaginer l’ambiance qui régnait ici, il faut savoir que les rez-de-chaussée étaient occupés par des boutiques, avec les espaces de stockage en entre-sol. Le premier étage, séparé par une première corniche, était l’étage noble, plus haut de plafond, et parfois même offrant un balcon sur la promenade. Les autres étages étaient dédiés à l’habitation, et l’immeuble se terminait généralement sur un dernier étage en retrait de la façade.

Le Cours était divisé en deux usages. Le Petit Cours, depuis la rue Tapis-Vert et jusqu’à la rue Nationale, qui termine la perspective, était plutôt réservé aux classes populaires. Le Grand Cours, qui s’étendait, lui, jusqu’à la rue Pavillon, était destiné aux gens de la bourgeoisie. Des bornes séparaient même les deux espaces.

Allez enfin tout au fond du Cours, devant la rue Nationale. Vous vous dressez devant l'Hôtel Pesciolini.
L'immeuble à l'angle du Cours Belsunce et de la rue du Petit Saint Jean
L’immeuble à l’angle du Cours Belsunce et de la rue du Petit Saint Jean
Photo : Jonathan Tourtois

Vous êtes passés devant l’Alcazar, un illustre cabaret, aujourd’hui démoli, mais dont on a conservé toutefois l’entrée historique.

Vous voilà devant la terminaison du Cours. Devant vous s’élance la rue d’Aix, qui emmène jusqu’à la Porte d’Aix. L’immeuble qui en fait l’angle à gauche a été construit lorsque la rue Colbert a été dessinée, au XIXème siècle. En revanche, celui qui fait l’angle à droite date toujours de l’Ancien Régime, et prend le nom d’Hôtel Pesciolini. Sa porte a été inscrite aux Monuments Historiques le 8 mars 1929.

À l’heure où j’écris ces lignes, en juillet 2016, la façade de cet immeuble mériterait une sérieuse restauration. Mais il permet néanmoins de deviner la fin de la composition urbaine, telle qu’elle l’était à l’époque. Ce vieil immeuble avait son symétrique exact de l’autre côté de la rue d’Aix. Ensemble, ils assuraient un fond de scène spectaculaire au Cours. Pour l’anecdote, cet immeuble a été construit en 1673 pour un négociant marseillais d’origine Toscane, Amant de Venerosi-Pesciolini. Cet homme dirigeait lui-même le bureau d’Agrandissement, en charge de l’exécution de la ville nouvelle telle que l’avait ordonné Louis XIV.

La façade de l’Hôtel Pesciolini montre à elle seule de la richesse des décors dressés à l’époque. Elle propose aux promeneurs deux atlantes monumentaux porteurs d’un balcon en ferronnerie. Un œil de bœuf, encadré par deux sphinx, éclaire l’entresol. Chaque atlante est posé sur une colonne formant l’encadrement de la porte d’entrée. Les archives indiquent que le propriétaire a demandé expressément aux maçons de réaliser, à la place des colonnes prévues initialement, deux colosses qui soutiendront le balcon.

Les platanes qui ornent aujourd’hui le Cours redonnent un peu de verdure à la promenade. Les architectes avaient eux aussi prévus une végétation abondante pour agrémenter le Cours. Dès 1670, des micocouliers sont plantés. Des bancs en pierre sont installés en 1686, dans l’alignement des arbres, et participent eux aussi à l’étirement de la perspective. Fin XVIIème siècle, les micocouliers sont remplacés par des mûriers qui, à leur tour, seront remplacés en 1756-1758 par des ormeaux.

L'Hôtel Pesciolini, un des deux immeubles qui terminaient le Cours Belsunce
L’Hôtel Pesciolini
Photo : Jonathan Tourtois

Aujourd’hui, la circulation automobile est interdite sur le Cours Belsunce, à l’exception de la sortie du parking du Centre-Bourse. Quand les frères Puget imaginent leur projet au XVIIème siècle, l’esplanade qu’ils dessinent est destinée à la promenade : les charrettes doivent circuler autour, le long des façades. Cette disposition sera inversée en 1839 par Augustin Fabre, conseiller municipal, afin de fluidifier la circulation toujours grandissante sur l’axe principal de Marseille. Pire encore, le Cours perdra complètement sa fonction de promenade quand la chaussée sera à élargie de façade à façade, en 1890.

Les diverses reconstructions qui s’opèrent au XIXème siècle, et surtout les opérations urbaines du XXème siècle auront raison des perspectives monumentales de Puget. Si le Cours a retrouvé sa fonction de promenade, c’est pour beaucoup grâce aux travaux de requalification de la voirie, qui se sont déroulés en accompagnement de l’arrivée du tramway en 2008. Des grandes opérations de renouvellement urbain permettent aussi d’inciter les propriétaires à restaurer les façades, rendant en partie le prestige du Grand Cours.

 

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