L’esplanade de la cathédrale de la Major vient d’être terminée ! Elle offre un nouveau belvédère sur le port et la baie de Marseille, à quelques mètres des Terrasses du Port qui offrent une vue similaire aux visiteurs du centre commercial. Mais le chantier, qui aura duré 16 ans, n’a pas été sans embûches…
Retour en 1995, année où le projet Euroméditerranée a été déclaré opération d’intérêt national. La Joliette est un quartier enclavé par les passerelles d’autoroute et la Cathédrale de la Major est étouffée par les bretelles d’accès, un rond-point, et les parkings plus ou moins sauvages. Quelques arbres subsistent en square face à l’école de l’Évêché, le reste n’est que circulation automobile. Depuis des années, les piétons ont délaissé la zone et les Marseillais ont perdu l’accès à la mer, phagocyté par le port et ses hangars. Euroméditerranée veut redynamiser le quartier et rendre aux Marseillais l’accès à la mer. Très vite, l’esplanade de la cathédrale devient un point nodal des aménagements prévus dans le projet urbain. L’objectif est de rendre la place aux piétons et faire de l’esplanade un nouveau belvédère sur la mer, par-dessus les voies de circulation.
Les fouilles du boulevard Schumann
En décembre 2000, Euroméditerranée est désigné maître d’ouvrage des travaux d’aménagement. Deux ans plus tard, l’architecte et urbaniste parisien Bruno Fortier remporte le concours d’attribution du marché public. Le projet reste en stand-by pendant encore quatre ans, le temps que la passerelle d’autoroute qui longe la cathédrale ne soit démolie, remplacée par le tunnel de la Joliette. Maintenant que le flux automobile est enterré, l’espace est enfin dégagé pour le démarrage des travaux.
Le chantier s’ouvre en 2006, côté Est d’abord. Le parvis face à la cathédrale est aménagé en priorité, avec la requalification des voies qui la séparent de la Mairie du 2ème secteur, et le boulevard Schumann, qui longe le palais de l’Évêché. Pour désengorger le quartier, on décide du percement du tunnel de la Major, sous le boulevard Schumann, qui envoie les voitures sortant du tunnel du Vieux-Port jusqu’au départ de l’A55, à Arenc.
Au cours du chantier, des fouilles archéologiques préalables révèlent la présence depuis l’Antiquité tardive de différents lieux de culte, et en particulier une riche mosaïque d’une quinzaine de mètres-carrés qui appartenait vraisemblablement au palais épiscopal du Vème siècle. Plus loin c’est un cimetière datant au moins du Moyen-Âge qui est découvert, mais aussi une fosse commune où furent entassés « à la hâte » les corps d’une partie des victimes de la grande peste de 1720. Les fouilles se poursuivent, laissant le chantier en attente pendant ce temps-là.
Puis, c’est le J4 qui concentre toutes les attentions. Marseille va devenir, en 2013, la Capitale Européenne de la Culture, et le projet du Mucem se concrétise enfin. Il sera installé sur le J4, cette longue esplanade gagnée sur la mer au pied du Fort Saint-Jean. Dans le même temps, on décide de la construction de la Villa Méditerranée, avec son porte-à-faux ambitieux. Le boulevard qui part de la Joliette pour atteindre le Vieux-Port est redessiné, et prend le nom de Boulevard du Littoral. De nuit, la balade est superbe.
Les Voûtes de la Major
Dans la foulée, on décide de restaurer les Voûtes de la Major et d’y installer des commerces. Ce vaste ensemble architectural, offrant un socle à la cathédrale, a été construit pour absorber les importants travaux de terrassement de l’époque. C’est toute la moitié nord de la ville qui est en travaux, avec la construction de la cathédrale, mais aussi les premiers bassins de la Joliette, le percement de la rue de la République, et le remblaiement de l’anse de l’Ourse qui disparaîtra au fur et à mesure de la création des nouveaux quais.
La Ville de Marseille profite alors de ces aménagements pour créer des entrepôts sous l’esplanade de la nouvelle cathédrale. Ces entrepôts sont destinés aux navires de commerce qui accostent ici. Un soin tout particulier est apporté au dessin des façades, qui doivent souligner la monumentalité de l’édifice qu’ils supportent, et s’inscrire en cohérence avec son écriture architecturale. La vingtaine d’arcades d’une dizaine de mètres de haut souligne les arches du transept de la cathédrale, avec une régularité précise et rigoureuse. Au centre de la façade, un magnifique escalier en pierre à double volée ceinture une fontaine, et permet de relier les quais du port à l’esplanade.
Les commerces des Voûtes perdurent jusque dans les années 1970. Parmi eux, on peut citer l’entreprise viticole Margnat, qui a installé ici ses chais pendant la première moitié du XXème siècle et qui importait des vins d’Algérie, de Grèce ou d’Espagne. On note aussi l’installation des peseurs jurés de Marseille qui, depuis 1228, avaient pour mission de peser et mesurer les marchandises qui transitaient par le port.
Peu à peu, les voûtes disparaissent sous des passerelles pour atteindre directement le nouveau hangar construit sur la mer, et derrière la passerelle autoroutière qui lance le flux de voitures de l’A55 vers le tunnel du Prado-Carénage. La Ville rachète les voûtes, mais leur accès est condamné.
Il faut attendre 2011 pour que la Ville entreprenne la requalification des voûtes. Les anciens entrepôts vont laisser leur place à des commerces haut de gamme. 5.200 m² sont enfin réhabilités, portées à 7.300 m² grâce à un ensemble de planchers intermédiaires en mezzanine dans certains locaux. Les façades sont restaurées selon les dessins originaux des architectes du XIXème siècle, en intégrant avec discrétion et élégance les enseignes commerciales contemporaines.
Les nouvelles Voûtes réhabilitées ouvrent enfin le 9 septembre 2014, après 50 ans d’abandon. Elles sont devenues un nouveau point de passage dans la longue promenade qui part de la place de la Joliette vers le fort Saint-Jean et le Vieux-Port. De larges trottoirs sont rendus aux piétons, et l’ancien parking sauvage en contrebas de l’avenue Vaudoyer, qui jouxtait l’ancienne consigne sanitaire de Fernand Pouillon1 est transformé en place urbaine, inaugurée la même année.
La deuxième phase du chantier de l’esplanade
Le chantier de l’esplanade n’aurait pas dû être interrompu pour autant. Malheureusement, lors des travaux des Voûtes, les études de structure ont constaté d’importants désordres dans le bâti ancien et notamment de graves problèmes d’étanchéité. En 2010, on décide d’interrompre le chantier en surface pour procéder à des travaux de consolidation en urgence.
Entre temps, le projet a évolué. Initialement, une fontaine et une ligne d’eau de 50 mètres devaient habiller l’esplanade. Mais il a été privilégié la restauration de la fontaine prise dans l’escalier à double volée. En revanche, l’architecte a réussi à convaincre l’Architecte des Bâtiments de France de la nécessité d’offrir de l’ombre aux promeneurs. Au total, 44 mélias ont été plantés. L’essence a été choisie en fonction de la faible vitesse de sa croissance.
Mi-2015, les travaux reprennent enfin. L’esplanade de 9.500 m² est couverte de dalles en granit. L’appareillage des dalles trapézoïdales, grises ou noires, rappelle l’aménagement de la place Masséna de Nice, réalisée aussi par l’architecte quelques années plus tôt.
Le long de la rambarde côté mer, un long banc de 220 mètres permet d’admirer la vue sur l’esplanade du J4 et le départ des ferries vers la Corse et l’Afrique, selon le souhait de l’architecte :
« Regarder très clairement vers la mer; ensuite faire de cet espace un lieu d’ancrage pour des usages qu’il faut réinventer. Avec sa longue et haute silhouette, la cathédrale de la Major restera l’élément dominant d’un paysage où plusieurs paramètres viendront se mêler; celui d’une ville, qui devrait s’ouvrir du côté de la baie, mais également celui d’une circulation plus discrète, permettant à cette grande esplanade d’accueillir des usages contrastés »
Le projet intègre aussi la rénovation de l’escalier central des Voûtes, avec sa fontaine datant de 1852, ainsi que l’escalier côté rue Marchetti, dans le dos de la cathédrale.
Avec cette dernière inauguration, c’est tout le pourtour de la cathédrale de la Major qui a enfin retrouvé sa grandeur, et la statue de Monseigneur de Belsunce sa dignité.
- Aujourd’hui Fondation Regards de Provence ↩
Un quartier à redécouvrir complètement !!
Article riche et étayé. Merci !