Avec 10.000 personnes qui la fréquentent chaque jour, le succès de la bibliothèque de l’Alcazar n’est plus à démontrer. Le projet s’inscrit dans une volonté générale de requalification du centre-ville de Marseille, en tentant de réinstaller des hauts lieux symboliques culturels et de nouvelles fonctions économiques.
La bibliothèque n’est pas la seule à participer à cette ambition. Citons par exemple la fac de droit, sur la Canebière, ou encore la restructuration du pôle étudiant de Saint-Charles. D’autre part, un projet de requalification des tours Labourdette, tant décriées aujourd’hui, doit poursuivre les efforts entrepris, dont le plus visible est le retour du tramway sur le Cours Belsunce, en 2007.
La visite architecturale de la bibliothèque commence bien évidemment par la restauration de la porte d’entrée de l’ancien cabaret de l’Alcazar. Ici se tenait un établissement emblématique du XXème siècle, une des salles de spectacle de Marseille les plus connues. Parmi les nombreux artistes à s’être produits dans cette salle mythique, citons Joséphine Baker, Charles Trenet, Colette, Yves Montant, Pierre Dac et Francis Blanche, Fernand Reynaud, Johnny Hallyday, Eddy Mitchell… La liste est longue !
Mais le déclin des salles de spectacle du centre-ville touche aussi l’Alcazar, et malgré de nombreux efforts pour y résister, l’établissement est déclaré en faillite en 1965. L’établissement renaît pour quelques années seulement, avant de fermer définitivement ses portes. Le prestige de la salle s’éteint : à la place, c’est un dépôt-vente de meubles qui s’installe. Dix ans plus tard, faute d’entretien, le bâtiment doit être démoli. Seule subsiste la vieille entrée, avec sa marquise en fer forgé et ses boiseries, qui en masque plus le terrain vague qui s’étend là. Et elle aussi, inévitablement se dégrade dangereusement… Ce spectacle désolant perdure pendant toute une génération.
Tout change à partir de 1997. La Mairie décide d’implanter son projet de Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale sur le site. L’emplacement est stratégique, et permet de faire disparaître ce terrain vague honteux. L’autre option était d’exploiter les locaux de l’Hôtel Dieu, lui aussi à l’abandon depuis des années, mais les travaux de restauration auraient été trop couteux. Il faudra attendre encore vingt ans pour que l’Hôtel Dieu renaisse…
Le concours architectural désigne lauréats les architectes Adrien Fainsilber et Didier Rogeon. On félicite les concepteurs d’avoir parfaitement compris les ambitions du programme et maîtrisé les enjeux urbains. Leur proposition de façade de 30 mètres en marbre sur le Cours Belsunce marque les esprits du jury.
L’emplacement du futur bâtiment est atypique, puisque la mairie demande à ce que le bâtiment s’inscrive sur deux parcelles distinctes, séparées par la rue du Baignoir. Inévitablement, cela conduit à concevoir un bâtiment-point au-dessus de la ruelle.
La proposition des architectes est efficace. Le bâtiment s’étire sur les 100 mètres du terrain et s’organise autour d’une rue intérieure, sorte de nef d’une cathédrale de notre temps. La façade sur le Cours Belsunce, axe majeur et historique de Marseille, est très étroite : 30 mètres à peine, ce qui semble insuffisant pour marquer les esprits face à l’enjeu du programme et les 23.000 m² de surface utile nécessaires ! Le choix se porte donc sur une façade très forte, réalisée grâce à un rideau de marbre blanc, s’élevant au-dessus d’un rez-de-chaussée entièrement vitré.
Dès l’année suivante, en 1998, les travaux de déblaiement commencent. Les immeubles insalubres de l’îlot de l’Alcazar sont démolis. Côté Cours Belsunce, on détruit les immeubles du n°52 au n°62, ce qui permet de dégager l’accès au site. Seules subsistent les façades du 52 et du 54 qui, restaurées, permettent de redonner de la visibilité à l’architecture baroque qu’avaient espéré les frères Puget quand ils avaient dessiné le Cours, sous Louis XIV…
Les travaux semblent traîner, mais ne s’interrompent pas vraiment pour autant. Il faut dire que le chantier est colossal et le terrain difficile, tant en termes d’accès que de préservation des éléments historiques majeurs.
Côté rue Nationale, on démolit les immeubles des n°8 et 10, mais on en préserve les façades pour assurer une continuité architecturale. On construit, à l’intérieur de l’îlot, une paroi moulée sur tout le pourtour de la future bibliothèque, pour permettre l’installation de fouilles archéologiques préalables. Ces fouilles s’inscrivent dans la continuité d’une première campagne menée en 1992, et qui avait permis de faire apparaître des vestiges romains et grecs, mais aussi des traces d’un aqueduc médiéval. La nouvelle campagne allait neutraliser le chantier pour durer 12 mois.
La façade historique de l’ancien cabaret est démontée pendant l’été 1998. La marquise type Art Nouveau de 2,5 tonnes est envoyée dans l’atelier des établissements Carrera, qui prennent en charge sa restauration. Il s’agit du plus ancien atelier de Marseille, fondé en 1857… comme l’Alcazar. L’établissement a de prestigieux clients, comme la Banque de France ou Notre Dame-de-la-Garde, rien que ça. Malheureusement, la marquise a trop été altérée par le temps. La rouille n’a pas que rongé la surface de la ferronnerie, mais a déjà attaqué le cœur des éléments. Il faut se rendre à l’évidence, la restauration est impossible. Il a donc été décidé de reproduire la marquise à l’identique, en se servant des éléments encore existants comme « patrons », et en revenant aux documents d’époque pour aider à sa reconstruction. Cette nouvelle création a permis d’intégrer, au passage, des éléments technologiques contemporains, en particulier l’éclairage.
La proposition des architectes de faire une façade en marbre Arabescato permet de maîtriser la lumière naturelle à l’intérieur du bâtiment. Il faut savoir que le rayonnement solaire doit à tout prix être maîtrisé, voire évité, pour ne pas dégrader les ouvrages stockés dans la bibliothèque. Un éclairage constant facilite aussi la lecture dans les salles de travail. Aussi, le bâtiment bénéficie de patios pour faire pénétrer une lumière naturelle indirecte jusqu’à son cœur. L’atrium central, quant à lui, est couvert par des brise-soleil qui limitent le rayonnement direct dans la rue intérieure tout en diffusant une lumière homogène.
La façade en marbre est donc l’élément visible majeur de la bibliothèque. Cette façade a plusieurs fonctions architecturales. D’une part, elle permet de filtrer et diffuser la lumière naturelle ; mais elle porte aussi la haute fonction symbolique de la bibliothèque régionale. De plus, elle sert de liant entre les deux façades réhabilitées datant du XVIIème siècle, aux angles de la rue Nationale et de la rue du Petit Saint Jean. Les feuilles de marbre font 4 mm à peine : cette finesse permet au matériau d’être translucide. La nuit, c’est l’effet inverse qui est recherché : tandis que la ville est plongée dans le noir, la lumière des salles de la bibliothèque rendent la façade luminescente, participant à la fonction de repère urbain d’un tel programme. Pour des raisons techniques, les feuilles de marbre ont dû être prises entre deux feuilles de verre, pour lui redonner une certaine résistance. Pour éviter de dénaturer la couleur laiteuse de la pierre, les architectes ont eu recours à un verre dit « extra-blanc », produit par Saint-Gobain, le même déjà utilisé quelques années plus tôt sur la Pyramide du Louvre à Paris.
Il y a eu bien d’autres prouesses techniques accomplies pour mener à bien ce projet. Certaines le sont pour des raisons réglementaires, difficiles à atteindre en raison de la valeur patrimoniale du lieu. D’autres, à causes des contraintes fonctionnelles d’une bibliothèque. D’autres encore, pour permettre le fonctionnement du chantier en lui-même. Toutes ont convergé vers le résultat qu’on connaît aujourd’hui, et le succès de fréquentation de la bibliothèque ne fait qu’honorer les hommes qui ont conduit le projet, depuis les premières esquisses jusqu’à son inauguration le 30 mars 2004.
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