Avec les grandes percées haussmanniennes, le quartier de la Bourse s’isole. L’insalubrité qui caractérisait les vieux quartiers devient la cible des différents projets urbains proposés par les municipalités successives. On décide de raser le quartier à l’aube de la Première guerre mondiale, pensant que le terrain allait vite trouver une nouvelle destination. Mais de décennie en décennie, les projets s’embourberont jusqu’à l’arrivée de Gaston Defferre à la tête de la Ville, pour y construire finalement un centre commercial… beaucoup décrié aujourd’hui encore.
Raser les quartiers vétustes
Le développement des échanges commerciaux fait apparaître un problème majeur dans la morphologie-même de Marseille : la configuration de son centre, avec ses ruelles sinueuses et son parcellaire étroit, limite forcement le transit des marchandises. Le XIXème siècle tente de répondre à cette problématique par les percées haussmanniennes, avec la rue de la République et la rue Colbert principalement. La création de cette dernière, la mise en valeur de la Canebière et la présence du Cours Belsunce délimite un nouveau quartier, auquel le Palais de la Bourse donnera le nom.
Isolé par la présence d’artères majeures sur trois côtés, et encore caractérisé par l’insalubrité de la vieille ville, ce territoire de 6 ha devient le centre d’attention des municipalités du début du XXème siècle. Le quartier de la Bourse est à l’image du reste de la vieille ville : il est considéré comme vieilli, malsain et insalubre ; il est aussi inadapté aux mutations que l’évolution galopante du port de commerce fait subir à la ville.
Consciente du potentiel du quartier de la Bourse, la Municipalité du Docteur Flaissières étudie en 1893 un projet urbain visant à démolir et remodeler le parcellaire du quartier. Ce premier projet avorte, mais est néanmoins relancé en 1906 : la nouvelle municipalité organise un concours d’architectes et en 1910, le décret d’utilité publique est promulgué. Les expropriations sont prononcées et le quartier existant est démoli par tranches successives jusqu’en 1929. Le périmètre concerné est occupé par quelques 500 maisons : en tout, l’opération fait déplacer plus de 7000 personnes.
Tandis que les démolisseurs sont en ordre de bataille, le plan de reconstruction s’étouffe dans d’innombrables tergiversations tant et si bien qu’en 1930, aucun projet viable ne fait encore consensus. La crise économique mondiale apparaît et les Marseillais se souviennent encore de la crise immobilière qu’a provoqué une trop forte création de logements avec le percement de la rue de la République.
C’est que le quartier est central : il est à proximité à la fois de la nouvelle gare Saint-Charles, de la Canebière resplendissante, du Vieux-Port et de l’axe historique Nord-Sud constitué de la rue de Rome, du Cours Saint-Louis, du Cours Belsunce et de la rue d’Aix. Pourtant, l’écart se creuse entre les populations du Nord, ouvrières voire pauvres, installées à proximité des installations portuaires, et celles du Sud, riches armateurs et négociants fortunés. L’échec de la commercialisation de la rue de la République et des quartiers Mirès d’une part, et le no-man’s-land du quartier de la Bourse d’autre part, cristallisent cette frontière sociale.
Le projet de Castel et Grebert
En 1931, l’architecte marseillais Gaston Castel et Jacques Grebert, professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris, travaillent ensemble à un vaste projet d’aménagement et d’extension de Marseille. Inévitablement, leur projet évoque le destin du quartier de la Bourse. Leur principale proposition est de constituer un réseau de boulevards extérieurs qui relieraient les quartiers Sud aux quartier Nord et au Port, désengorgeant ainsi la vieille ville. Concernant le quartier de la Bourse, Jacques Grebert explique :
Si on ne considérait que l’état actuel des terrains et dans l’absence d’un plan général d’aménagement, il serait logique de dire que ce lotissement est à l’écart du mouvement et représente une possibilité d’utilisation pour l’habitation centrale, d’une valeur foncière intéressante, mais limitée aux possibilités du rendement résidentiel. Si, au contraire, la construction des voies essentielles dont nous venons de parler, se trouve décidée…, l’utilisation des lots à vendre est traitée de façon différente. L’habitation n’y tient plus qu’un rôle accessoire, pour ne pas dire nul, et l’occupation commerciale s’affirme, inévitablement complémentaire mais non concurrente de l’activité commerciale des rues Canebière, Saint-Ferréol et Paradis1.
Si l’idée d’une zone commerciale profitant d’être au carrefour des flux commence à faire son chemin, la municipalité suivante, menée par Henri Tasso, privilégie plutôt l’option du grand jardin central, déjà évoquée sous le mandat de Flaissière en 1923. L’idée défendue est celle d’un poumon qui serait le bienvenu dans une ville trop dense. Bien que cette option soit critiquée par certains, la commission départementale approuve le projet ; mais il faut encore obtenir le feu vert d’autres organismes : l’approbation par la commission supérieure, en voie de renouvellement, est finalement obtenue en 1938. La même année, la ville de Marseille est mise sous tutelle suite au dramatique incendie des Nouvelles Galeries sur la Canebière, ce qui ampute la Municipalité de son pouvoir décisionnaire. D’autres avis sont encore attendus : Beaux-arts, monuments historiques… Le projet de jardin est encore loin être approuvé quand éclate la Seconde guerre mondiale.
Avec l’installation du gouvernement de Vichy, le corps décisionnaire de la ville change. Gaston Castel, qui occupe le poste d’architecte en chef des Bouches-du-Rhône, est poussé vers la sortie par le nouveau gouvernement. À nouveau, l’idée de densifier les terrains de la Bourse réapparaît. Les populations pauvres ont entre temps réinvesti les zones laissées à l’abandon, si proches de toutes les commodités à la fois de la ville et du port. Le visage de Marseille a également été fortement transformé par l’arrivée des autoroutes Nord et Est, dont les terminaisons nerveuses sont toutes proches. Une intervention urbaine lourde sur le quartier de la Bourse se ressent comme de plus en plus pressente. Toutes les problématiques emblématiques de Marseille, souvent d’actualité aujourd’hui encore, se retrouvent dans ce périmètre : la question de la liaison de la ville à son port, l’arrivée brutale des autoroutes, la vétusté des quartiers, les campements… L’urgence de résoudre l’épineuse question fait l’unanimité. Eugène Beaudouin, architecte grand prix de Rome en 1928, est chargé du projet.
La nouvelle proposition marque pour le quartier de la Bourse un tournant dans l’approche globale du centre-ville. L’architecte imagine prolonger l’autoroute nord, qui s’arrête pour le moment à la Porte d’Aix, jusqu’au quai des Belges, transperçant ainsi le fameux quartier insalubre. De l’autre côté de la Canebière, l’autoroute Est, elle aussi, est prolongée jusqu’au Vieux-Port, faisant du quai des Belges la jonction des deux axes routiers majeurs de Marseille. Une vaste place monumentale est proposée ici. L’approche de Beaudouin ne fait guère de doutes : on propose l’éradication de l’insalubrité par la création des axes de circulation qui manquent en ville. C’est peut-être cette vision qui poussera l’armée allemande en janvier 1943 à expulser 20.000 personnes et à démolir toute la partie basse du quartier du Panier.
- Jacques Greber, Mémoire descriptif, Bibliothèque de l’Institut d’urbanisme de Paris, 1933. ↩
Bonjour,
Je cherche des informations sur la prolongation de la rue saint Férréol en 1931, soit la démolition d’une partie de l’hôtel du petit Louvre sur la Canebière.
La photo aérienne que vous datez de 1939, vue sur la Bourse, pose un problème, n’est-elle pas d’avant 1932 puisque on n’y voit pas ce percement?
Très cordialement,
M-E Gonnet