Un chantier titanesque
Le chantier de la rue Impériale, bien qu’impopulaire, démarre malgré tout. En un temps record – à peine 24 mois – les vieux quartiers sont transpercés par l’avenue. 935 maisons sont détruites, ce qui représente 16.000 personnes délogées. 61 rues disparaissent, totalement ou partiellement, avec la création de l’avenue et le redécoupage des îlots qui la bordent.
La difficulté de franchissement que représente la colline des Carmes est résolue par l’arasement de celle-ci. Pour adoucir les pentes et obtenir un dénivelé régulier, on taille dans les collines une tranchée de 150m de long qui, à son point maximum, atteint 25m de profondeur1. La tranchée fait 60m de large ; 1.200.000m³ de déblais sont déversés dans la mer grâce à quatre lignes de chemin de fer fraîchement établies sur douze kilomètres de long. Pour la première fois en France, on utilisera des locomotives, des grues roulantes de 35m de hauteur, ou encore des machines à fabriquer le mortier.
La nouvelle rue se veut la vitrine du Marseille en plein essor économique. À la place des vieux quartiers insalubres, on construit de hauts immeubles haussmanniens. Ce nouveau modèle architectural concentre toutes les innovations réalisées les années précédentes en terme de logement : arrivée de l’eau courante et du gaz dans les étages, larges fenêtres permettant d’apporter la lumière et de ventiler naturellement les appartements, etc. Le projet apporte une réponse de fait au problème des vieux quartiers insalubres du centre historique qui occupe les débats publics depuis le XVIIIème siècle.
La rue sera inaugurée le 15 août 1864 bien que la plupart des immeubles ne soit pas achevée. En 1871, après la chute du second Empire, un arrêté préfectoral rebaptise la rue Impériale en rue de la République.
L’échec du projet
L’objectif du projet est clair : fixer ici la nouvelle bourgeoisie marseillaise, à proximité du centre-ville. Il s’agit d’orienter la ville vers les bassins portuaires de la Joliette, de « tirer » les beaux quartiers vers des espaces qui, en 1860, viennent d’être créés, gagnés sur la mer à l’occasion de la construction du port moderne.
Seulement, la commercialisation des appartements a été un échec total. Jules Mirès, investisseur à l’initiative du projet, est en pleine faillite avant même le démarrage des travaux.
La bourgeoisie Marseillaise, à laquelle le projet s’adressait, boude le projet : elle s’installe plutôt dans les quartiers Sud autour des bastides, de la corniche et des lieux de divertissement de la ville. Les immeubles haussmanniens représentent à leurs yeux une masse impressionnante, contrastant fortement avec les constructions et les ruelles étriquées du vieux Marseille, comme en témoigne Horace Bertin en 1876 :
On dira ce que l’on voudra, mais nous trouvons que la rue de la République est venue bien sottement se frayer un passage à travers la joyeuse montagne qui supporte le vieux Marseille… rue qui sera toujours, malgré son grand air et sa figure monumentale, affreusement banale et ennuyeuse… Quant à nous, nous regrettons franchement ce sol montueux et sa ribambelle de petites rues, pleines de bruit et de foule…
La nouvelle rue reste en partie inhabitée jusqu’en 1880. La population n’y vient pas, poursuivant son lent déplacement vers le sud de la ville, déjà amorcé dès le XVIIIème siècle, pour sa fraction bourgeoise, privilégiant les terrains laissés vierges ; les classes populaires préfèrent quant à elles s’installer en périphérie.
Le projet urbain Euroméditerranée
Les événements du XXème siècle et les nombreux bouleversements que Marseille connaîtra ensuite donneront un coup d’arrêt aux grands projets de l’ère industrielle. Le centre-ville est lentement délaissé tandis qu’apparaissent dans les quartiers nord les premiers grands ensembles de la cité phocéenne. La rue de la République n’échappe pas à la règle. Le tramway, principal mode de déplacement des Marseillais, est de plus en plus empêtré dans les embouteillages des nouvelles automobiles. Les bombardements des Alliés, à la fin de la seconde guerre mondiale, font des ravages dans le réseau si bien que le maire de Marseille, Gaston Deferre, décide d’abandonner le tramway au profit d’un réseau d’autobus. La rue de la République, ancien lieu de promenade, devient alors un axe majeur de déplacement automobile.
Petit à petit, la rue de la République a perdu de sa superbe. La paupérisation de la population y résidant, la disparition des nobles enseignes commerciales, la configuration « tout automobile », tous ces facteurs noircissent à chaque fois un peu plus l’image de l’avenue. Il faudra attendre les années 1990 avec la création de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée pour que voit le jour un grand projet de réhabilitation de la voie et des immeubles. Le lieu est hautement symbolique, mais aussi stratégique puisque particulièrement bien desservi par les transports en commun : une station de métro de la ligne 1, Vieux-Port, et une station de la ligne 2, Joliette, chacune située à une extrémité de l’avenue.
En 2005, des fonds de pension américains rachètent, avec des banques françaises, l’ensemble des immeubles pour les rénover et les revendre. Aussi, les façades sont réhabilitées, une à une, respectant les préconisations des Architectes des Bâtiments de France. Ces derniers ont exigé la revalorisation de l’architecture haussmannienne : décapage soigneux des façades, remise en état des modénatures, restauration si possible des éléments décoratifs ou reconstitution à l’identique, etc. Les vitrines commerciales, elles aussi, ont été soumises à un cahier des charges très rigoureux.
L’avenue voit la largeur de sa chaussée réduite à deux voies, tandis que les trottoirs s’élargissent ; le stationnement de surface disparaît dans des parkings souterrains. Elle redevient ainsi progressivement une artère commerciale où les Marseillais aiment se promener. En juillet 2007, le tramway revient sur la rue de la République, de la place Sadi Carnot jusqu’à la place de la Joliette. On installe un nouveau mobilier urbain et, caractéristique du XXIème siècle, 200 arbres d’alignement sont plantés bien que le projet d’origine n’en prévoyait pas. On profite des travaux de voirie pour programmer une réfection complète des réseaux d’assainissement. L’éclairage public est également repensé avec, comme une marque identitaire, une apaisante lumière bleue. La rue de la République, première grosse réhabilitation menée dans le cadre d’Euroméditerranée, deviendra même le premier symbole de l’opération.
À voir: la marquise de l’ancien café Le Réverbère
Au 17 rue de la République, à l’angle de la Grand Rue, se tenait ici le célèbre café Le Réverbère. Si cette enseigne très appréciée des Marseillais a disparu, le lieu a néanmoins été réhabilité en restaurant les éléments de décor du commerce. L’architecture et les détails qui faisaient le charme de l’ancien établissement ont été intégralement remis en état. Les moulures, les boiseries, les ardoises, les miroirs ainsi que la marquise ont retrouvé leur place après restauration. Entre autres, il faut voir la magnifique marquise, classée, qui a été entièrement rénovée. Aujourd’hui, ce commerce accueille le premier Starbucks à s’être installé à Marseille.
- Aujourd’hui encore, on peut voir sur la place Sadi Carnot le fond de la rue Félix Éboué buter contre un mur de soutènement. ↩
Merci !