Avec le développement commercial de Marseille et l’apparition de l’hygiénisme à la fin du XIXème siècle, l’idée d’éradiquer l’insalubrité des rues de la vieille ville est acquise. Le percement de la rue de la République répond à cette problématique, mais le projet initial ne s’arrêtait pas là. La place Sadi Carnot, baptisée à l’origine place Centrale, devait être le nœud de jonction de deux autres artères haussmanniennes. Le projet n’a pas abouti mais l’une d’entre elles a toutefois été réalisée : il s’agira de la rue de l’Impératrice, future rue Colbert.
Prévue dès les premières esquisses du projet, la place Sadi Carnot se situe précisément à l’ancien emplacement du col qui séparait la butte des Carmes, à l’est, de la butte des Moulins, à l’Ouest1. Elle était vouée à être un nouveau point modal dans le projet d’urbanisation de Marseille. Elle coupe la rue Impériale, renommée depuis rue de la République, à son premier tiers en partant du Vieux-Port. Ici aussi, le projet urbain est colossal : il propose de relier les allées des Capucines, aujourd’hui appelées allées Gambetta, à la nouvelle cathédrale de la Major. L’avenue est destinée à désenclaver le quartier de la Blanquerie, situé derrière le palais de la Bourse. Seul le premier tronçon sera réalisé, reliant la place centrale au Cours, aujourd’hui Cours Belsunce. L’autre grand axe projeté devait relier la Mairie à l’Arc de Triomphe de la porte d’Aix ; cette percée ne sera jamais réalisée2.
Les travaux avaient suscité alors un vif émoi dans la cité. Le projet, plutôt impopulaire, est confronté à de graves difficultés financières. D’autre part, il entend s’affranchir de toutes les contraintes et conduit à la destruction de 178 maisons et, surtout, de l’église gothique Saint-Martin.
La destruction de l’église Saint-Martin
Les travaux de la future rue Colbert débutent en 1884. La réalisation du premier tronçon, le seul qui sera donc réalisé, nécessite la destruction de l’église Saint-Martin, à une époque pourtant où l’on commence à préserver les édifices du Moyen-Âge ; elle se situait à proximité du Cours Belsunce.
La première mention de cette église remonte au XIème siècle ; elle constitue l’une des paroisses de la ville, dépendant des chanoines de la cathédrale. Rebâtie sur elle-même à la fin du XVème siècle ou au début du suivant, elle est érigée en collégiale par le pape en 1536. La destruction de l’église a néanmoins fait l’objet de fouilles archéologiques relativement documentées. Bien que cette nouvelle science n’en soit alors qu’à ses balbutiements, le travail entrepris est d’une grande qualité. L’interprétation aujourd’hui de ces études tend à montrer que l’église était bâtie sur un axe historique de la ville hellénistique, soit le IIème siècle avant J.-C. Par chance, de nombreux éléments de décor de l’église furent sauvegardés par Monsieur de Marin de Caranrais et sont exposés aujourd’hui dans le nouveau Musée d’Histoire de Marseille.
De même, les grands travaux de cette fin du XIXème siècle font l’objet d’une série de reportages photographiques réalisés par Adolphe Terris (1820-1900). À la demande de la mairie de Marseille qui souhaite laisser un témoignage de la grandeur des travaux entrepris, le photographe couvrira le percement de la rue Impériale ou de la rue de l’Impératrice, les aménagements des ports de la Joliette, etc. Ses photographies furent publiées à l’origine sous forme d’albums3.
En 1886 se termine la première phase des travaux. La suite du projet doit prolonger l’avenue jusqu’aux allées des Capucines, mais l’opposition des Marseillais est forte. Les Catholiques n’ont guère apprécié la destruction de l’église Saint-Martin et maintenant, c’est le cinéma de l’Alcazar, placé sur le prolongement de l’avenue, qui est menacé. Le projet n’aboutira finalement pas et l’Alcazar, aujourd’hui transformé en bibliothèque municipale à vocation régionale, sera sauvegardé.
Sur la place Sadi Carnot : l’Hôtel des Impôts et l’hôtel Régina
La place Sadi Carnot a pleinement profité des restaurations de façades entreprises dans le cadre du projet Euroméditerranée. Parmi les immeubles qui la bordent, se dresse l’ancien siège de la Compagnie des Messageries Maritimes, aujourd’hui Hôtel des Impôts. À l’origine, cet immeuble était occupé par l’hôtel Régina, établissement de luxe qui s’adressait aux premiers croisiéristes de Marseille, ainsi qu’aux riches investisseurs et autres commerçants. Il offrait aux voyageurs pas moins de 250 chambres.
C’est à cette époque que la plupart des hôtels de luxe se sont installés à Marseille, essentiellement sur la Canebière flambant neuve. Si les établissements ont aujourd’hui fermé, de nombreuses inscriptions sur les façades d’époque témoignent du faste d’antan. C’est le cas notamment du Grand Hôtel, aujourd’hui reconverti en commissariat central de Marseille, ou encore le Grand Hôtel Louvre et Paix, transformé depuis en magasin de prêt-à-porter.
Insolite : Un boulodrome sous-terrain…
Au sous-sol de l’ancien Café Parisien, aujourd’hui restaurant « O Zen » situé au 1 place Sadi Carnot, prend place… un boulodrome ! On raconte que l’un des patrons des lieux a décidé d’inaugurer cette curiosité en hommage à son grand-père Antoine Dary, un joueur émérite.
L’Hôtel des Postes
Ce bâtiment majeur4 bordant la rue Colbert est mal connu des Marseillais. Il est signé de l’architecte aixois Joseph Huot et inauguré en 1891.
La silhouette de l’édifice est caractéristique de sa fonction, marquée par une tourelle télégraphique. La façade principale est marquée de cinq arches en plein cintre coincées entre deux tours rondes à coupoles aux angles. La décoration, sobre, se limite à quatre médaillons de physiciens réalisés par le scuplteur Stanislas Clastier5. Les façades latérales et arrière sont plus abruptes, mais montrent néanmoins la puissance de l’institution. Plusieurs articles de la Construction moderne décrivent le nouveau bâtiment :
Le terrain, de forme irrégulière, offrait un grand développement de façades que le constructeur a su varier pour éviter la monotonie. La tour qui sert de point de départ aux fils aériens des télégraphes et des téléphones est devenue motif à décoration. L’architecture de l’ensemble est simple comme il convient à un édifice de cette nature, mais en même temps offre la somme d’ornementation que peut comporter ce genre de construction.
En 2009, le bâtiment a été vidé de ses services et il se cherche toujours aujourd’hui une nouvelle vocation.
Aujourd’hui
La place Sadi Carnot et la rue Colbert ont bénéficié des réaménagements prévus avec le retour du tramway. Entièrement pavée, la place marque aujourd’hui une interruption entre la partie Sud de la rue de la République, entièrement réhabilitée, avec la partie Nord, dont les travaux sont toujours en cours.
La mise en lumière de la place a été saluée unanimement par les Marseillais : la restauration des candélabres d’origine a été accompagnée de l’installation de luminaires rasants mettant en valeur la modénature des façades, tandis que des appliques marquent les portes cochères. Les toits en ardoise se détachent des façades en pierre et sont soulignés par un éclairage bleuté, teinte reprise tout le long de la rue de la République.
Quant à la rue Colbert, bien que les revêtements de sol aient été repensés avec le nouvel aménagement des voies, certaines façades ont toujours besoin d’un ravalement particulièrement attendu.
- Les ingénieurs ont privilégié le passage par ce point bas pour limiter les travaux de terrassements. ↩
- La rue Méry, emmenant de la place Sadi Carnot jusqu’à la Mairie dans l’axe de la rue Colbert, ne sera réalisée que pendant la deuxième moitié du XXème siècle. ↩
- Ce travail est partiellement restitué sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France. ↩
- Par chance, les plans du bâtiment sont disponibles sur scribd ! ↩
- Voir à ce sujet cette page consacrée aux sculptures de la façade principale. ↩